Aux côtés des étudiants de MAI 1968
Comment rebondir après une formidable aventure qui a tourné court, malgré tous les espoirs mis dans cette Algérie nouvelle ? Comment retrouver gout à l'enseignement en France, dans une Faculté de Bordeaux, pétrie de conservatisme et figée dans le respect de tous les ordres établis.
C'est la question que l'on se pose en suivant Jacques qui reprend en 1966 sa chaire à Bordeaux. Il choisit de s'installer de nouveau dans le grenier de la maison d'Aubiet, bercail où la famille se retrouve … comme pour panser ses blessures. Chaque semaine il fait les trois cents kilomètres qui séparent Aubiet de Bordeaux, au volant de la 4-chevaux qu'il a ramenée d'Alger. Chaque semaine, il passe trois jours à la faculté, y assure ses cours d'économie politique et revient de ressourcer (se réfugier ?) dans le cocon aubiétain. La vie familiale, au cœur du Gers, est paisible et heureuse, elle parait bien un peu monotone …mais la routine en est rompue par quelques voyages d'été en Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, RDA où Jacques est accueilli en camarade, dans les universités Marxistes de ces pays de l'Est. C'est une période où jacques se rapproche sans doute un peu plus du Parti Communiste, dont il a été proche depuis la Résistance et la guerre d'Algérie. Quand y adhère-t-il ? Dans quelles circonstances et dans quel état d'esprit ? Comment vit-il les déchirements du PC français, est-il écartelé entre un idéal communiste auquel il adhère depuis longtemps …et les sanglants délires staliniens, qui sont la pire déviation possible vis-à-vis du marxisme ? Nous ne le savons pas. Toujours discret sur ses activités politiques, il n'en parlera jamais en famille, ce qui laisse planer une forme de mystère sur cette partie militante de sa vie, pourtant si importante pour le comprendre.
Monotonie, train-train de la vie entre Aubiet et Bordeaux ? En fait mai 1968 couve comme un volcan qui va entrer en éruption …et dont la lave va se répandre partout en France et en particulier à l'Université de Bordeaux.
Le mois de mai fait voler en éclat les codes séculaires de la Faculté que représentent, entre autres, les cours magistraux durant lesquels les Professeurs en robe rouge et noire bordée d'hermine, coiffés d'une toque assortie, introduits par des huissiers en tenue, distillent le savoir ex cathedra, devant des amphithéâtres où de jeunes gens, plus ou moins dissipés mais toujours révérencieux, prennent des notes.
En ce mois de mai, les relations étudiants / professeurs sont transformées, les barrières sautent …du moins pour les enseignants qui soutiennent le mouvement de renouveau et de révolte qui se lève en cette année 68. Evidemment Jacques Peyréga est de ceux là, il est du côté des étudiants qui prennent la tête de la contestation … Il se heurte, une fois de plus, au conservatisme de la majorité de ses collègues de la Faculté de Droit, qui soutiennent au contraire les étudiants de droite – et d'extrême droite – qui s'opposent au mouvement de Mai. Début Juin, bien que le passage des examens de fin d'année soit annulé dans toute la France, certains professeurs de Droit de Bordeaux organisent des épreuves réservées à leurs propres étudiants à la faculté de Pey Berland. Jacques Peyréga s'insurge contre cette pratique : à la tête d'une manifestation d'étudiants, il se rend à Pey Berland pour empêcher la tenue de ces examens illicites. Dans la cohue qui s'en suit, un professeur de Droit lève la main sur Jacques et le gifle, faisant voler en éclat ses lunettes. Les examens 'auront pas lieu…Jacques envisage un moment de porter plainte contre les professeurs avec lesquels il a eu cette violente altercation, mais une médiation a lieu et il y renonce. Jacques gardera de cet épisode, outre le choc émotionnel, une légère surdité due à la gifle reçue sur l'oreille…
Jacques Peyréga est alors Professeur à la Faculté de Droit et de Sciences économiques, mais aussi en Sociologie et à l'IUT Techniques de commercialisation de Bordeaux. Là il peut exprimer plus librement ses idées humanistes et marxistes, au travers de ses enseignements ; il est entouré d'assistants et d'étudiants, qui gardent le souvenir de son aura de professeur, de la force de ses convictions et de son charisme.
Pendant cette période, il publie à ses frais des revues socio-économiques, dans un local au sous sol de la résidence Compostelle, où toute la famille s'est installée en septembre 1968, lorsque l'obligation est faire aux professeurs de résider dans l'académie où ils enseignent. Dans ce local Jacques a installé tout un matériel d'imprimerie et Roland, pour le seconder, s'est initié, seul, mais en professionnel, à l'offset et à la reliure. Jacques se lance dans la rédaction d'un ouvrage sur la théorie des systèmes économiques et sur les transports comme moyen de développement. Jacques fait preuve d'une grande productivité intellectuelle qui l'inscrit dans la mouvance des économistes marxistes de cette époque.